J’ai renoncé...  (09/09/2025)

Certains de mes lecteurs se souviendront peut-être du post intitulé « Apprentissage » où j’évoquais mes premières leçons de voile*.

Faire de la voile, ce rêve remonte à mon enfance. Parmi les lectures de ma prime adolescence qui m’ont le plus marqué, je me remémore L’odyssée du Kon-Tiki de Thor Heyerdal, Les enfants du capitaine Grant de Jules Vernes et surtout Viva Mexico, le premier tome des Vagabonds enchantés de Dana Lamb. 

A vivre loin de la mer, que ce soit en Gascogne, à Toulouse ou à Paris, j’ai reporté la réalisation de ce rêve sans pour autant le laisser s’éteindre tout-à-fait. Il revenait lorsque, à la faveur des vacances, j’ai pris parfois le ferry pour l’Angleterre, la Cornouailles ou l’Irlande. Appuyé au bastingage, je me disais qu’un jour... 

Grâce aux enfants - et il faut les en remercier - quand ils sont encore petits et parce que l’on souhaite les distraire, leur découvrir des lieux et des sensations, on fait beaucoup de choses que l’on ne ferait pas pour soi. Ce fut le cas, en particulier, avec une croisière en goélette d’une après-midi qui fut pour moi envoutante. 

Puis l’âge vint où la retraite se profile à l’horizon. La retraite, c’est-à-dire du temps, c’est-à-dire la liberté. Pourquoi, au lendemain de ma levée d’écrou, ayant aménagé sur la côte vendéenne, ne m’y suis-je pas mis aussitôt ? Je connais mes freins: une certaine lenteur à m’engager et, en l’occurrence, surtout, une répugnance à revenir à l’école. 

La providence a mis sur mon chemin un camarade à peine plus jeune que moi qui partageait la même envie. En outre, les mesures sanitaires de la guerre de Picrochole contre le Covid nous avaient donné à tous les deux une furieuse envie d’évasion. Je m’imaginais déjà capable de caboter le long de notre côte, puis un jour de voguer vers les petits ports de la Cornouailles. D’autant que - autre hasard - je découvris que l’horloger venu réparer ma flanc-comtoise vit sur son bateau et, de temps en temps, entre autres navigations, fait la traversée de la Manche pour jeter l’ancre du côté de Polpero ou de Fowey que je connais bien. 

Sous ces auspices, j’ai donc fait avec mon camarade mon premier stage, celui que j’ai conté sur ce blog. Puis, quelque temps plus tard, on a remis cela pour une semaine de plus. C’est à partir de là que ma motivation a commencé à se dégrader. J’ai constaté que ni ma tête ni mon corps n’apprenaient. A la sortie de cette deuxième semaine, j’étais toujours aussi pataud et n’avais fait que réapprendre les termes de marine du premier. 

Manifestement - mais cela dépend des personnes - pour faire certains apprentissages, il y a un temps qu’il ne faut pas dépasser. Le pied marin, par exemple, qui est mon premier problème, cela peut se cultiver. Mais il s’appuie sur des aptitudes physiques complexes - de l’oreille interne à la souplesse des articulations - dont certaines, avec l’âge, deviennent difficiles à améliorer substantiellement. Si, sur un bateau, votre premier et permanent souci est de ne pas tomber, si le moindre mouvement doit compter avec des rigidités multiples, le plaisir n’est plus là. 

J’ai donc décidé, le mois dernier, à la veille d’un stage-croisière, de laisser mon camarade voguer seul. 

J’en tire trois leçons. 

La première est qu’il faut se méfier du temps qui passe. Comme disait le poète, ce n’est pas lui qui passe, c’est nous, et, sans parler de mourir - ce qui met un terme définitif à tous nos projets - nos aptitudes physico-sensorielles subissent l’entropie. 

La deuxième est qu’il y a parfois des décisions à prendre. On peut vouloir s’entêter à faire une chose pour la simple raison que l’on en a rêvé longtemps. Mais demandons-nous quand même si le plaisir qu’on en attendait viendra au rendez-vous. Demandons-nous si, en lieu et place de cet entêtement, nous ne pouvons pas trouver mieux à faire.

Enfin, il faut savoir gérer sa frustration, au moins pour éviter de s’enliser dans l’amertume. La meilleure voie pour cela, me semble-t-il, est de remplacer l’aventure à laquelle nous renonçons par une autre. Il convient de ne pas garder devant soi un horizon désert. 

* http://capaularge.blogspirit.com/archive/2024/06/29/appre... 

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