C’est la vie ! (15/09/2025)
Quand, à soixante-dix-sept ans, je regarde derrière moi, je me dis qu’à plusieurs reprises, mon imagination s’est retrouvée bien inférieure à celle de la vie, et c’est une source d’espoir que j’ai envie de partager.
Lorsque j’étais enfant, j’avais une fascination pour le monde animal. A telle enseigne que mon oncle, pour mes douze ans, m’avait offert La vie des animaux, deux gros in-quarto fort savants de chez Larousse, où, déjà autodidacte, malgré mon jeune âge j’avais entrepris d'apprendre rien de moins que la classification des espèces. Je me souviens encore des termes « platelminthes" et « hémathelminthes »! Parallèlement, je lisais Jack London, James Curwood et les petites histoires du Journal de Mickey.
L’année de mes onze ans, la télévision avait fait son entrée dans la salle-à-manger familiale et j’avais découvert les documentaires qui montraient la vie des animaux sauvages dans leur milieu naturel. Deux ans plus tard, invité à Paris par ma tante pour fêter l’obtention du BEPC et nanti d’une caméra « super 8 » à ressort, j’avais fait - au zoo de Vincennes - mon premier reportage animalier. Tout cela aurait pu présager d’une carrière. Mais ce film - pourtant réussi de mon point de vue - fut mon premier et mon dernier.
Il y eut ensuite un long vide. Les cours de sciences naturelles du lycée me décevaient profondément et mon avenir devint un brouillard, d’autant que mes notes scolaires, jusque là plutôt bonnes, se mirent à baisser.
Quelques années de galère scolaire, une tuberculose pulmonaire, et mon père, administrateur de biens et agent immobilier, me repêcha, puis mourut. Je tentai de croire que j’avais trouvé ma voie et je me racontai l’histoire de mon futur: je m’imaginais en notable de ma petite sous-préfecture natale. En réalité, j’avais une double illusion: celle que je devais à mon père de lui succéder et celle de ne pas avoir la capacité de faire autre chose. Au vrai, je n’avais aucune affinité suffisante pour ce travail qui ne mobilisait rien de mes ressources intérieures - qu’en fait j’ignorais - et les résultats s’en ressentirent. Au bout de quelques années, écrasé par les angoisses de ma situation financière et par un cruel sentiment d’échec, je reçus un avertissement: la menace d’une maladie grave.
Ce fut comme l’accouchement provoqué d’un enfant qui hésite à naître. La chose s’arrangea d’une manière que je qualifie de miraculeuse, mais j’avais compris qu’il me fallait prendre sur moi et accepter de divorcer d’un certain nombre d’illusions si je ne voulais pas un jour y laisser la peau d’une manière ou d’une autre. Cette année-là, une rencontre fut décisive: celle de Suzanne Privat, experte en graphologie, qui me montra et surtout attesta ce que je ne voyais pas: les potentialités et la foi en moi auxquelles mon sentiment d’échec m’empêchaient de me relier. Je venais de faire l'expérience de l’effet Pygmalion.
La suite fut de l’ordre de l’inattendu le plus spectaculaire.
Il y eut d’abord une période transitoire et passionnante de trois ou quatre ans où je me frottai au développement local. Je retrouvai là l’expérience de la réussite et la confiance en moi. J’avais été embauché dans une structure naissante au sein de laquelle j’eus à inventer mon métier en compagnie de collègues avec lesquels j’avais une grande complicité. Je me découvris créatif. Mais les vicissitudes politiques menacèrent notre structure et je dus regarder ailleurs.
Ancien commerçant en proie à des difficultés financières, ancien bon élève sans diplôme, quelques années auparavant je ne me serais jamais imaginé devenir un jour cadre dans une grande entreprise et a fortiori dans la banque. C’est pourtant ce qui m’attendait. Je ne me serais jamais imaginé quitter ma ville natale et je l’ai quittée, pour Toulouse d’abord puis pour Paris. Oui, Paris ! Et dans un métier que, là encore, je dus inventer, celui de la « formation des dirigeants ». Je dois préciser que, par deux fois, j’avais décidé de revenir à l’école - en formation continue - et que j’y avais retrouvé mon appétit d’apprendre.
Ma vie aura été comme un feuilleton dont chaque épisode ne laisse pas imaginer le suivant. A posteriori, bien sûr, comme dans un roman policier, tout peut s’expliquer: on discerne les pulsions et les ressources, on observe l’environnement. Mais dans la réalité, c’est comme une succession d’aveuglements.
Pourquoi vous raconté-je cela ? Parce que je pense à tous ceux - et, de nos jours, ils sont assez nombreux, je crois - qui peuvent ressentir dans leur vie un enlisement proche du désespoir. C’est à leur intention que j’ai voulu témoigner ici que l’improbable - l’improbable positif - existe, qu’il peut surgir soudain, comme un continent non cartographié au milieu d’un océan qui nous avait semblé désespérément gris et vide.
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