Depuis quelques semaines Oxygones, créé par mon ami Christophe Lucas, a fait son apparition dans le monde de la formation et du coaching pour adultes. L’ambition d’Oxygones est d’aider les entreprises et les personnes à évoluer de manière audacieuse, créatrice et durable, en sortant des schémas habituels des pratiques de formation. Christophe et moi nous connaissons depuis longtemps et c'est tout naturellement que nous avons noué un partenariat autour de mes parcours de développement. Pour présenter notre démarche pédagogique, nous avons joué lui et moi au jeu de l’interview.
Avant d’en venir à votre pédagogie, quels sont vos domaines d’intervention ?
Christophe: Tous les domaines où il y a une pratique fondée non seulement sur un savoir mais aussi et principalement sur un savoir-être. Manager d’autres personnes en est le meilleur exemple: pour être un bon manager, il ne faut pas seulement avoir retenu des cours théoriques de management, il faut cultiver une attitude. On peut même dire qu’il s’agit de déployer une personnalité. Donc, fait aussi partie de notre domaine d’intervention tout ce qui touche au développement de soi, que l’on parle de se préparer à une bifurcation professionnelle, d’aborder l’imprévu de manière positive ou d’attirer des changements dans sa vie personnelle.
Et, maintenant, quelle est votre originalité pédagogique ?
Thierry: Nos parcours s’inspirent de plusieurs approches, parmi elles: la « Pédagogie éclosive » TM d’André Coenraets et la psychologie positive de Mihaly Csikszentmihalyi.
Mihaly Csikszentmihalyi est surtout connu pour avoir popularisé la notion de « flow » ou de « flux »: un état d’équilibre dynamique entre les compétences d’une personne et la stimulation que lui procure l’enjeu de la tâche à accomplir. Csikzsentmihalyi qualifie une telle activité d’autotélique, c’est-à-dire qui a sa fin en soi, qui est motivante en soi, et cela m'a inspiré la marque Autotélos.
Quant à André Coenraets, c’était un chef d’entreprise belge toujours déçu des résultats que procuraient les formations au management qu’on lui vendait. Il a alors fait sa propre recherche pédagogique puis créé et perfectionné les programmes dont il avait besoin pour les cadres de son entreprise: l’organisation, le management, la communication, la vente, etc. Puis, comme ses programmes donnaient de bons résultats, il les a proposés à l’extérieur. Enfin, il a transféré aux personnes que cela intéressait la pédagogie qu’il avait mise au point. J’ai eu la chance de participer à la dernière série de séminaires d’ingénierie pédagogique qu’André a donnée.
Qu’est-ce que cette pédagogie a de particulier ?
Thierry: Plusieurs choses, mais son point d’appui original, pour moi, est ce qu’André appelait un « support projectif de situation ». Il s’agit d’une histoire avec des personnages aux comportements typiques, qui font face à des situations diverses souvent fondées sur l’irruption de l’imprévu ou de l’indésirable. Les apprenants peuvent ainsi se reconnaître tant dans les réactions de tel ou tel personnage que dans les situations qui feront écho à leurs propres problématiques.
Comment exploitent-ils ce support ?
Christophe: Ils étudient ces situations, les analysent, échangent des idées sur les solutions à mettre en oeuvre et deviennent, en quelque sorte, les conseillers des personnages. L’un des avantages de la méthode est de désinhiber les participants. Lors du travail en collectif, l’on peut aborder, à travers les personnages, les problèmes que l’on rencontre sans s’exposer soi-même. Or, la gêne, la retenue, l’évitement, surtout dans les formations en intra où l’on peut craindre le jugement des collègues ou des supérieurs hiérarchiques, sont une des causes de déperdition des formations qui impliquent la personne.
Mais qu'entendait André Coenraets par « éclosif » ?
Christophe: Cela renvoie à la façon de produire les compétences. On peut la faire remonter à la pratique du « maître ignorant », expérimentée et développée au début du XIXe siècle par Jean Joseph Jacotot. Selon lui, les compétences qu’une personne construit elle-même sont plus pertinentes et plus solides que celles qu’on lui transmet intellectuellement et que l’on confie à sa mémoire, par exemple lors d’un cours traditionnel ou d’une conférence. L’animateur ne délivre donc pas un savoir intellectualisé mais crée un espace et développe un questionnement qui amènent les participants à construire eux-mêmes leur compétence, à la faire « éclore » pour reprendre la métaphore d’André Coenraets qui a posé les règles d‘animation que nous utilisons.
Thierry: Le questionnement n’est pas le seul levier pédagogique. Il y a aussi ce que nous appelons les « micro-expériences », qui joue un rôle important. Une micro-expérience est la mise en pratique, par une prise de risque mesurée, d’une découverte amenée par le questionnement d’un problème. « Je viens d’avoir cette idée, et si je l’expérimentais ? » Cela prend place entre deux sessions et donne lieu ensuite à un débriefing en groupe, soutenu par le questionnement du « maître ignorant ».
Comment se déroule un parcours ?
Thierry: Un parcours est rythmé par trois temps. Un temps de travail individuel où chacun prend connaissance des péripéties vécues par les personnages. Cette lecture est complétée par un premier questionnement qui accompagne le récit. L’investigation et l’analyse des situations proposées est elle-même accompagnée de « notes exploratoires » qui n’offrent pas des solutions mais des outils d’analyse. Le deuxième temps est un temps collectif, c’est celui des sessions où les participants échangent leurs impressions, leurs analyses et débattent des solutions qu’ils préconisent avec, comme il a été dit, l’aiguillon du questionnement du maître ignorant. Le troisième temps est celui des micro-expériences dont les comptes-rendus viendront enrichir les futurs échanges. Ces trois temps constituent ce que nous appelons un cycle. Le nombre de cycles dépend du parcours.
Les sessions doivent-elles être nécessairement présencielles ?
Christophe: Les évènements ont fait la promotion de la formation à distance qui offre, dans ce contexte mais aussi en soi, de nombreux avantages. Mais on est dans un domaine particulier et on ne doit pas oublier l’ergonomie. Les sessions présencielles sont plus vivantes et les interactions entre les participants y sont plus nombreuses et spontanées que dans les sessions à distance. La saturation et la fatigue y arrivent moins vite. S’agissant d’un processus qui tient beaucoup du processus créatif, ce sont des points importants. La formule que nous proposons est une combinaison du présenciel et du distanciel. Une combinaison souple, car elle peut s’adapter aux contraintes particulières d’une entreprise.
A qui s’adressent vos interventions ?
Christophe: Sur la base de ce que j’ai répondu à votre première question, elles s’adressent par exemple aux entreprises qui veulent retrouver du nerf, développer leur résilience, donc celle de leurs salariés. Aux entreprises qui doivent préparer leurs collaborateurs à des changements qu’ils pourraient ne pas désirer, ou leur redonner de l’allant dans cette période qui a tendance à écraser le moral des troupes. Il y a aussi des entreprises qui se trouvent contraintes à des licenciements mais auxquelles l’éthique de leurs dirigeants interdit de débarquer des salariés comme cela, sans leur donner quelques « biscuits » pour la suite de leur vie.
Thierry: En cette période de « crise sanitaire » qui s’éternise, nos interventions s’adressent aussi aux personnes, en entreprise ou en dehors, qui éprouvent le besoin de faire un « point de vie », d’explorer d’autres avenirs que celui fondé sur la reconduction du passé. Ce n’est pas pour rien que nous avons baptisé l’un de nos parcours « Cap au large ! ».
Prochaine publication samedi prochain: "L'art des questions".