Va-t-on au marché pour dire dans le détail, à chaque maraicher: "Je ne vous achète pas ceci, ni cela, ni cela, etc." ? Certainement pas ! Quel temps y perdrait-on et quel ennui ce serait pour ceux qui ont des goûts différents des nôtres et qui attendent de pouvoir acheter !
Dans nos parcours, l'exercice que nous demandons à nos participants est d'oublier l'avocat du diable pour se faire l'avocat de l'ange. C'est le travail du chercheur d'or qui tamise le gravier de la rivière pour trouver quelque paillette invisible au premier regard. C'est aussi éviter de blesser ceux qui n'ont pas le même point de vue que nous. C'est gagner en temps et en enrichissement: si vous observez le déroulement du bavardage spontané autour d'une idée nouvelle, l'énergie consacrée au dénigrement et à la critique a tendance à déborder le temps disponible et on repart les mains vides.
Cette règle s'applique aussi aux ressources que nous proposons, qui ont fait l'objet de recherches et d'analyses, et résultent d'un choix exigeant, ce qui nous permet de penser qu'elles ont une certaine pertinence dans le cadre d'un projet de développement existentiel.
Extraite du classeur de nos participants, voici l'une des ressources sur lesquelles exercer votre "avocat de l'ange".
Selon le psychanalyste québécois Guy Corneau, il y a en chacun de nous une pulsion originelle, la pulsion de vie, qui est comme notre respiration naturelle et qu’il appelle « le meilleur de soi »*. Quand nous sommes en contact avec cette pulsion, elle nous rend spontanément heureux et créatifs. Nous en faisons l’expérience la plus pure au cours de notre enfance.
Vivre, cependant, c’est rencontrer des obstacles et recevoir des blessures. De même qu’on serre les poings et qu’on retient son souffle face à une menace, les stratégies d’adaptation et de protection que nous mettons en place nous conduisent à nous contracter et à réduire l’ampleur de notre respiration naturelle, jusqu’à faire de cette posture réactionnelle une seconde nature. On peut appeler cette seconde nature notre « personnage ». Elle est notre interface avec le monde extérieur.
Le personnage que nous endossons confond souvent le « meilleur de soi » avec la compétition et la performance. Il organise le transfert, vers le monde extérieur, de la source de notre bonheur et du sentiment de notre valeur. Nous rechercherons ainsi l’approbation ou l’admiration des autres, les signes extérieurs de réussite, le pouvoir, l’argent, etc. Nous finirons par dépendre d’eux, car nous serons passés de l’expérience autotélique** de la pulsion de vie à l’attente de résultats. Subsistera tout de même une insatisfaction plus ou moins bien refoulée que nous compenserons de diverses manières.
Constatant les désillusions de ce mode d’adaptation, confrontés à une situation péniblement récurrente ou à des choix cornéliens, nous pouvons avoir envie de renouer avec notre authenticité. Mais comment conduire cette quête de nous-même ?
Guy Corneau met en garde contre les réflexes de notre « personnage » qui ne pourra s’empêcher d’injecter, même dans cette quête, la drogue de la performance et de la compétition, la recherche du spectaculaire, l’attente de résultats, qui, justement, nous dérobent ce que nous voulons atteindre***. Il raconte à ce sujet l’histoire des « 200 tableaux ». A la faveur d’un de ses séminaires, l’un des participants, un chef d’entreprise, redécouvre son goût pour la peinture. Il se met à peindre régulièrement. Un an plus tard, retrouvant Guy Corneau, il lui explique qu’il a peint 200 tableaux et se demande quoi en faire. Guy Corneau lui conseille d’en donner 100 à ses employés, 50 à sa famille et de brûler le reste. « Tu plaisantes! » « A peine! Ces tableaux ont déjà rempli leur rôle. Ils ont servi à la seule personne à qui ils devaient servir: toi. Ils t’ont remis en vie. »
Renouer avec « le meilleur de soi » est une pratique qui permet entre autres choses de relativiser les situations que nous vivons et de recadrer les décisions que nous pouvons avoir à prendre.
* Guy Corneau, Le meilleur de soi, éditions France Loisirs, 2008.
** Qui est à elle-même sa propre fin. Concept développé par Mihaly Csikszentmihaliyi, que nous avons déjà évoqué.
*** Pour ceux qui connaissent la série Friends, le personnage de Monica en est un exemple.