« Je ne connais pas de moyen de faire plus plaisir à mes enfants que de leur mettre des bottes, un ciré, de s’équiper de lampes de poche, et de partir faire une promenade, de nuit, dans les bois. A peine montés en voiture, ils commencent déjà à voir des loups. Puis, c’est le jeu de fantôme avec des torches. Arrivés en forêt, ils poussent des cris à l’idée même d’ouvrir la portière, et sortent de la voiture secoués de frissons et d’éclats de rire.
Les mains sont moites, les respirations courtes, les oreilles aux aguets. Ils s’étonnent de l’obscurité et du silence, puis des bruits des bêtes sauvages. Leur imagination surexcitée voit dans chaque ombre des ours, des chouettes, des chauve-souris. Les petits accrochent leurs mains crispées à celles des grands, les plus aventureux partent en avant avec leur lampe… pour revenir aussitôt à toutes jambes en hurlant de joie et de terreur. Et je dois bien avouer que, même pour un adulte, se promener la nuit en forêt provoque toute sorte de sentiments intenses: les cris des oiseaux de nuit, les formes étranges des arbres, le vent qui souffle dans les cimes, l’odeur des mousses et des herbes sauvages, les pieds qui heurtent des pierres ou tombent dans les ornières du chemin. » *
J’ai précédemment décrit le cycle en trois temps des parcours Autotélos: un temps de réflexion personnelle sur une histoire et des « graines de pensée », un temps d’enrichissement par les échanges en session, et un temps baptisé « Ecole buissonnière » que j’ai trouvé particulièrement bien évoqué dans le texte mis ci-dessus en introduction. J’aimerais dire ici pourquoi ce troisième temps est essentiel selon moi.
Nous ne sommes pas que rationalité. Outre l’intellect, notre être se compose de plusieurs strates: physique et sensorielle, affective et relationnelle, sans oublier le niveau de la quête de sens que l’on peut qualifier de spirituel. Le sujet de mes parcours et particulièrement de Cap au large qui donne son nom à ce blog est celui des bifurcations de vie: celles que l’on n’a pas souhaitées et auxquelles il convient de trouver le bon niveau de positionnement; celles auxquelles on aspire sans parvenir à les attirer à nous; celles que nous avons voulues ou accueillies et qui semblent nous trahir.
Favoriser l’émergence des possibles, l’apparition de nouvelles voies, ne relève pas de la seule démarche cartésienne. Pour reprendre la phrase célèbre de Korzybski, le fondateur de la sémantique générale, « la carte n’est pas le territoire ». La carte que nous voyons n’est pas le territoire de notre vie, elle est notre projection. Je me souviens d’avoir eu à emménager à Toulouse, il y a fort longtemps, à la suite suite d’un changement professionnel. Mon lieu de travail était à la périphérie et mes nouveaux collègues habitaient tous à proximité, dans des quartiers récents composés de maisons individuelles, chacune sur un terrain plus ou moins grand. J’en visitai ainsi plusieurs sans qu'aucune emportât mon choix. Le professeur Berthoz, dans son ouvrage « La décision », a montré qu’il y a une pulsion à la base de toute décision, un déclic qui échappe aux élucubrations du conscient. Ce déclic, en ce qui me concernait, se dérobait. C'est alors qu'une nuit, j’ai rêvé que je remontais à pied la rue ensoleillée d’un village du Sud-ouest. Il y avait une atmosphère dont je ressentais un grand bien-être. Au réveil, je savais qu'il me fallait chercher mon logement dans l'un des villages de la périphérie. Et, du premier coup, j’ai à la fois retrouvé les sensations de mon rêve et mis la main sur ce qui me convenait: une belle maison ancienne bellement restaurée. Alors que je m’étais jusque là enfermé dans un raisonnement - et aussi un certain mimétisme: le raisonnement peut être mimétique - mon rêve m’avait rappelé les sensations qui me procuraient du bonheur.
On n’a pas toujours la chance qu’un rêve nous éclaire ou que nous le comprenions. C’est pourquoi, pour enrichir la carte à travers laquelle nous appréhendons notre territoire, nous devons nous exposer, nous donner des occasions de vibrer. Nous devons offrir à nos fibres intimes la possibilité de sortir des vibrations banales qui nous conditionnent et nous limitent. Comme d’un stradivarius qui ne jouerait plus que des ritournelles, il s’agit de tirer de nos cordes des sonorités dont nous avons perdu - voire jamais connu - la sensation, des sonorités plus profondes, plus authentiques.
Notre troisième temps, celui de « l’école buissonnière », a cela comme ambition. Pour reprendre la petite histoire qui introduit cette publication, il invite à être à la fois le parent qui organise une aventure et l’enfant qui va la vivre dans toute sa spontanéité. Dans le cadre du respect de la liberté personnelle qui est le nôtre, les formes que peut prendre l’expérience ne dépendront que de celui qui en fera le choix. Nous demandons seulement que l’on y trouve trois ingrédients: l’originalité (une cuillère), le plaisir (une louche), l’audace (une pincée). La liste des expériences que vont faire les membres d'un groupe Autotélos ressemblera ainsi, selon la formule consacrée, à un inventaire à la Prévert: on y trouvera un stage de communication avec les abeilles, une dégustation de Qi Gong, une retraite dans un monastère, ou encore un premier cours de peinture, de chinois ou de russe, etc. Il s’agit, en passant par les canaux de nos divers sens, d’éveiller des échos de notre sensibilité enfouie et de libérer l'aiguille de notre boussole intérieure. Si l’occasion de vibrer que l’on s’est donné se prolonge d’un apprentissage, ce sera encore mieux, car, comme l'a écrit mon amie Hélène Trocmé-Fabre: « J’apprends, donc je suis »**. Apprendre, surtout si le corps et les sens y sont impliqués, nous fait passer de l’état de touriste à celui d’acteur, tout en stimulant notre intelligence multiple***.
A ceux qui tentent l’expérience, nous demandons d’être attentifs à leurs ressentis, de les écrire et, en les revivant intérieurement, de noter d’une part ce qu’ils leur disent d’eux-mêmes et, d’autre part, où, à quelles pensées, à quels imaginaires, ils les invitent. Ces découvertes pourront être contées en session et contribuer ainsi à la stimulation et à l’enrichissement de chacun. En outre, avec l’obligation de varier les registres, cette expérience sera renouvelée à chaque intersession du parcours.
Vous ai-je donné l'envie de faire l'école buissonnière ?
* https://www.santenatureinnovation.com/13-trucs-pour-une-vie-heureuse-intense-et-libre/
** Titre de l'un de ses livres.
*** http://capaularge.blogspirit.com/archive/2021/03/19/les-intelligences-multiples-3249369.html
Commentaires
" Nous ne sommes pas que rationalité."
Il y a plus de quarante ans j'enseignais en Côte d'Ivoire et je m'efforçais de montrer aux élèves que la littérature africaine existait et était belle. Que nenni il n'y avait que la littérature française qui prévalait à leurs yeux ...
Après les cours je restais souvent sur la cour à discuter. Un jour l'un d'entre eux me dit à peu près en ces termes: "En Afrique il n'y a pas de littérature mais il existe quelque chose que vous n'avez pas en France! Est-ce que vous avez des sorciers?" Je lui répondis que je n'en connaissais pas et que notre culture n'était pas fondée sur ces pratiques. Il me répondit qu'il connaissait le sorcier de son village, qu'il était capable de faire pleuvoir à tout moment... Voyant mon scepticisme il me glissa: "prenez une mèche de cheveux d'une vierge, enterrez-là à 20cm de profondeur et revenez un mois après... les cheveux se seront transformés en serpents!"
Dans l'ambiance et les odeurs typiques du pays j'avoue avoir été impressionné. La preuve j'en parle aujourd'hui!
L’Afrique, pour faire l’école buissonnière, c’est quelque chose. J’y ai fait de courts séjours (Côte d’Ivoire et Sénégal) pour animer des séminaires mixtes et la première fois, sur une mission humanitaire (Basse-Casamance). J’ai rencontré des personnes magnifiques. Je me souviens d’un de mes premiers soirs là-bas: j’étais dans un livre d’image de mon enfance!
En Haute Volta (aujourd'hui Burkina Faso) invité par un élève je me suis retrouvé plusieurs jours dans un village à mille miles de toute ville. Le premier soir au son du tam tam des dizaines de villageois sont venus voir le "blanc"... Le chef de village a fait tuer 8 des 10 poulets présents pour que je les mange. J'étais très très ennuyé et je voulais inviter ceux qui me recevaient à être avec moi autour du feu. . Mais Dominique m'a dit qu'il ne fallait pas car j'aurais vexé le chef! Quand on donne on donne tout!
En effet, ce que j'ai ressenti là-bas c'est qu'on met l'accent sur "apprendre à donner", or,, souvent, nous devrions apprendre à recevoir !