Une fois n’est pas coutume, afin d’illustrer ce que peut être une bifurcation de vie, je vais évoquer un personnage de l’histoire de l’Église. Issu de la noblesse basque espagnole, Inigo est un homme de cour, une sorte de haut-fonctionnaire auprès du vice-roi de Navarre. Son tempérament enflammé et son intelligence calculatrice ne peuvent qu’annoncer un grand avenir politique, quand, l’année de ses trente ans, lors d’un siège, un boulet de canon lui brise le genou.
Neuf mois de convalescence - le temps d’une grossesse - dont il ressortira transformé. Pour occuper son immobilité forcée, il lit la vie de saints personnages. Il y trouvera la nouvelle orientation de la sienne. Remis sur pied, quoique toujours et définitivement boitant, il se dépouille de sa fortune, prend le chemin de Jérusalem, puis fonde un nouvel ordre: la Compagnie de Jésus. Nous le connaissons sous le nom d'Ignace de Loyola (1491-1556).
Il arrive ainsi qu’un boulet de canon transforme notre existence. Un boulet de canon, c’est un évènement qui fait mal. Il peut tuer et, si ce n’est pas le cas, il est rare qu’il ne laisse pas des traces voire des handicaps qui vont faire de notre existence d’avant une impasse. Face à une telle situation, les humains ont, en simplifiant, deux types de réaction: ils parviennent à faire leur deuil des projections d’hier et rebondissent, de nouveau féconds; ou bien ils s’enlisent dans le dépit, la tristesse, la stérilité. Nous avons tous croisé des boulets de canon qui nous ont plus ou moins abimés, sinon le corps, en tout cas l’âme. Une maladie d’enfance qui nous interdit une pratique sportive ou artistique. Une gifle paternelle nous enjoignant de rapporter un premier prix plus sérieux que celui de dessin. Une séparation, une faillite, un accident, un refus de promotion, un licenciement. Il peut sembler, dans ces moments-là, que la vie elle-même nous claque la porte au visage. Aujourd’hui, pour beaucoup d’entre nous, l’épidémie de covid et les mesures prises par les pouvoirs publics sont ce projectile malveillant qui ruine le paysage de l’avenir.
Mais le confinement n’apporte pas toujours l’inspiration comme il le fit pour Inigo. Nous n’avons pas providentiellement sous la main la lecture qui nous éclairerait. Les « hasards nécessaires »* qu’évoque Jean-François Vézina ne se présentent pas forcément sur notre chemin. Nous tournons alors en rond, ruminant de sombres pensées, guérissant d’autant plus mal de nos peines ou de nos frustrations. C'est que, parfois, après nous avoir frappé, ce boulet s’attache à notre cheville. J’en ai fait l’expérience. Il m’a fallu plusieurs années de galère ponctuées par une alarme majeure pour que je mobilise l’énergie de m’arracher définitivement à mon marécage d’alors. Il m’a fallu aussi et surtout changer de point de vue sur moi-même. Du sein de mon enlisement, je ne pouvais imaginer ce que je ferais par la suite et où je le ferais. Mais il a suffi d’un entretien pour qu’un premier changement de cap ouvre une route à laquelle je n’aurais pas cru si un voyant me l’avait décrite.
Il y eut donc un point - en géométrie un lieu sans surface - où la possibilité est née, d’abord d’un changement intérieur source d’une ré-orientation, puis, de fil en aiguille, d’une bifurcation qui se révèlera au fil des ans déterminante. Un point d’émergence. Je n’ai cessé d’y réfléchir pour élucider le processus qui m’y avait conduit ou qui l’avait fait apparaître. C’est ainsi qu’à l’aube du troisième temps de ma vie, je me suis attelé à la création de mon parcours « Cap au Large » dont, avant les vacances, vous avez trouvé ici quelques pages. « Cap au large », comme on quitte une côte inhospitalière, ennuyeuse ou malsaine pour retrouver l’air que l'on respire à pleins poumons et faire route vers un horizon prometteur. Je pensais à ceux qui, comme ce fut mon cas, languissent sur leur propre chemin. Découvrant a posteriori ce qui avait joué à la fois dans mes atermoiements et dans mes sursauts et mes rebonds, j’ai voulu rassembler toute la sève de mon expérience pour faire de ce parcours « Cap au Large » un accélérateur de prises de conscience et éventuellement d’évolution. Je précise « éventuellement » car il faut garder à l’esprit que « la porte du changement s’ouvre de l’intérieur »**. C’est pour cela que non seulement le contenu mais aussi la pédagogie de « Cap au Large » ont été pensés afin que vous puissiez non seulement voir de vos propres yeux la poignée de cette porte mais en tourner vous-même la poignée.
A la veille de cette rentrée de septembre 2021, nombreux sommes-nous hélas! à anticiper de possibles boulets de canon: difficultés cruelles, choix cornéliens, carrières interrompues, activités fragilisées. Aussi, j’envisage de lancer prochainement un ou deux nouveaux groupes « Cap au Large ». Ce sera une aventure intérieure et conviviale de quelques mois, une navigation organisée autour de huit sessions d’une-demi-journée chacune, espacées de quelques semaines de murissement. Dans un premier temps, nous embarquerons huit volontaires (dont deux ou trois sont déjà connus).
Pour en savoir plus, faites-moi signe et nous pourrons nous retrouver pour une « visio ». Je vous raconterai tout et vous pourrez juger si l’aventure vous convient.
* Jean-François Vézina, Les hasards nécessaires, Editions Alexandre Stanké, 2002.
* Jacques Chaize, La porte du changement s’ouvre de l’intérieur, Calmann-Lévy, 1998.
Commentaires
Si je peux être contributif avec plaisir
Bonjour René, merci de ta proposition. Qu’imaginerais-tu ? Amitiés.