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Rechercher : oeuvrier

  • L’oeuvrier*, la matière, l’outil

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    Je peux connaître parfaitement les règles du management et de la communication, si je n'ai pas le savoir-être qui leur correspond je serai un perroquet savant mais je n'aurai pas l'efficience du vrai manager. Un manager (ou un animateur) sait l'importance de passer de la connaissance intellectuelle des principes à la posture intérieure qui permet d'établir une relation de bon niveau et à la posture physique qui créera l'atmosphère idoine. L'exemple le plus frappant qui me vient à l'esprit remonte à de nombreuses années. Il y avait à Toulouse un problème de délivrance des cartes grises, avec des queues incroyables devant la préfecture et une agressivité qui croissait. Un fonctionnaire est sorti, il a remonté la queue en parlant aux gens, très simplement. Son passage apaisait les personnes les plus remontées. Il ne faisait pas de la com', il était authentique.  

    Sur un plan existentiel, en fonction de ce que nous sommes nous attirons une certaine vie. Acquérir des informations est un premier pas qui peut accroître notre lucidité et faire évoluer nos opinions, mais il ne suffira pas à réorienter notre existence comme nous le voudrions. Avoir toutes les réponses justes, même dans nos parcours, ne mène pas loin. Si nous voulons mettre le cap au large, il nous faut aller plus loin que le savoir. On n'apprend pas la voile en lisant un livre. Il faut s'engager dans un processus expérienciel qui fasse de nous matière et outil. 


    Imaginons un jeune homme qui veut devenir ébéniste. Il devra apprendre à connaître la matière qu’il veut travailler: le bois, ou plutôt les différentes essences de bois, les différents états du bois, le degré de dessication, la résistance, le grain, l’emploi idoine.


    Il devra apprendre l’usage des outils: équerre, compas, rabot, guillaume, wastringue, varlope, bédane, etc. Le nom de la plupart de ces outils devrait être au pluriel, car chacun se diversifie en fonction des singularités que peut recéler un type de tâche: une des dimensions de l’apprentissage, c’est d’apprendre à faire des distinctions de plus en plus fines.


    Afin de reconnaître les essences qu’il doit choisir en fonction de ce qu’il veut produire, notre apprenti devra exercer à la fois sa mémoire et sa capacité d’observation. Afin d’accomplir matériellement son ouvrage, il devra savoir choisir l’outil adéquat et exercer la précision de ses gestes, et bien plus encore.


    A la vérité, le trinôme « oeuvrier - matière - outil » est un cycle. On voit clairement que l’oeuvrier est tour à tour et souvent en même temps l’un et l’autre. Quand il apprend, il est initiateur et donc oeuvrier. Mais il ne fait pas qu’engranger des informations: il est lui-même la matière à travailler, il exerce son esprit, ses sens, ses gestes. Quand le bois brut devient une chaise, un bahut ou un pied de lampe, il est l’outil de cette transformation.


    Tout apprentissage nous fait passer par ces trois états: oeuvrier, matière, outil. Apprendre nous engage dans une métamorphose. Même notre façon de penser s’en trouvera transformée: un garde-forestier, un bûcheron, un écologiste ou un cycliste en VTT qui parcourent une forêt ne voient pas la même chose, n’ont pas les mêmes réflexions.


    La matière de l’apprentissage, en soi, induit une manière de penser, donc de voir le monde. Les métiers dont la relation avec le client constitue la matière induisent une évolution différente de ceux qui confrontent au bois ou au métal, ou aux phénomènes naturels comme celui de la pêche en mer, ou encore aux abstractions comme les mathématiques.


    Un changement personnel ou professionnel nous propose d’entrer de nouveau dans le cycle « oeuvrier - matière - outil » .
    Mais attention: si nous ne sommes qu’outil ou matière, sans être oeuvrier de nous-mêmes, nous sommes en péril de formatage et de dépendance.

     

    * Nous retenons cette orthographe ancienne car elle redonne de la visibilité au mot « oeuvre ».