Quel vaste sujet et aussi, pour certains d'entre nous, quel drame à épisodes ! Se sentir différent, notamment dans le regard des autres et ne pouvoir s'adapter à la société qu'en se renonçant, en se faisant autre que ce que l'on est ! Mais aussi, du côté des organisations, quelle tentation stérile et souvent destructrice de rester entre soi et d'éjecter ou placardiser ces "zèbres" ! Car c'est souvent "l'original", le zèbre, qui détecte très en amont les grands changements en gestation dans l'environnement, et c'est souvent lui, si l'on veut bien l'entendre, qui, dans son impertinence, risque d'avoir les idées les plus pertinentes pour l'exploiter. On peut aussi évoquer la déroute des familles devant le petit dernier qui ne veut pas faire un métier sérieux comme papa, ou le grand fils déjà adulte, marié et père de famille, que saisit soudain l'envie de tout plaquer pour refaire des études ou partir sur une mission improbable en Amazonie. Conversion subite, bouffée délirante, ou sorte de coming out après des années de dissimulation étouffante ?
Selon l’auteur américain Howard Bloom, aucune communauté ne peut se perpétuer sans à la fois un moteur de conformité et des agents de diversité*. Ce double concept peut être transposé à la personne qui doit à la fois être capable de comportements ordinaires mais aussi, quand c’est nécessaire, d’originalité.
Le moteur de conformité fait que des individus forment une société. Il est constitué de ce qu’ils partagent: histoires, croyances, comportements, règles et valeurs. En l’absence ou en cas d’insuffisance de ce moteur, l’individualisme prend le pas sur la société, celle-ci s’atomise et n’est plus qu’une addition de « chacun pour soi ». Le moteur de conformité comprend aussi les solutions qui ont fait leurs preuves face aux défis et aux problèmes qu’une communauté a rencontrés au cours de son histoire. Toute communauté hérite de l’expérience des générations précédentes une boîte-à-outils ou un livre de recettes.
Or, le jour où l’environnement cesse de reproduire les conditions du passé, s’en tenir aux solutions issues de l’histoire - le célèbre « On a toujours fait comme cela » - peut se révéler inefficace, pernicieux voire catastrophique. Cette situation conduit à un piège analysé par Paul Watzlawick : comme le remède traditionnel ne produit pas les effets escomptés, on croit qu’il faut augmenter les doses alors qu’il faudrait inventer un nouveau remède. Ce scénario peut aussi bien être collectif qu’individuel.
L’agent de diversité permet à une société, un groupe, une organisation d’évoluer face à des défis inédits. Analysant différemment la situation, le « divergent », le « franc-tireur », décèle ou imagine de nouvelles solutions. Ce faisant, il permet à la société de survivre en évoluant. Pour un individu, son agent de diversité intérieur se trouve dans sa capacité à prendre du recul, à se remettre en question, à se réinventer, éventuellement aiguillonnée et soutenue par un interlocuteur extérieur, tel qu’un coach, qui l’aidera à percevoir le caractère inédit de la situation et l’aspect stéréotypé de ses réactions.
Cependant, l’atomisation - la décomposition - constitue - et à juste titre - la peur de toute société. Les dérives des agents de diversité peuvent multiplier les divergences qui dissoudront ce que le moteur de conformité produit de nécessaires fondements partagés. C’est pourquoi les agents de diversité peuvent effrayer et sont parfois mal accueillis. Sans parler des égos, des croyances et des intérêts matériels que leurs nouvelles solutions peuvent menacer.
* Howard Bloom, Le principe de Lucifer, Le jardin des Livres, 1995.
** Nous utilisons le terme de communauté pour désigner toute organisation collective, qu’il s’agisse d’une famille, d’un groupe, d’une entreprise, d’une association, d’une nation, etc.
*** Paul Watzlawick, psychologue et sociologue américain, cofondateur de l’Ecole de Palo Alto, auteur notamment de Comment réussir à échouer, Seuil 1988 ; réédition Points, 2014.